Un film documenté de Christophe Bedrossian – 2019

Contexte : réalisé entre novembre 2018 et Avril 2019 essentiellement autour du rond-point de la Limage à Brioude, en Haute Loire.

Réalisateur : Christophe Bédrossian
Assistant caméra et son : Jean Paul Bouvet

Durée : 1 heure

PROPOS DU RÉALISATEUR

La question que je pose finalement au travers de ce « film documenté » est bien celle ci : qu’est ce qui fait l’Histoire ?

L’idée n’était pas simplement de poser un parallèle entre les esclaves de la Rome antique et la condition servile ressentie par la plupart des gilets jaunes interviewés. Il ne s’agissait pas non plus de se contenter du parallèle évident entre la situation de patriciens tournés vers la seule conservation de leurs acquis face au peuple politique descendu dans la rue devenue rond-point. Au delà de cette lecture évidente, je voulais mettre en scène l’historicité, et questionner donc notre époque où l’image sert avant tout le « storytelling », c’est à dire ce récit qui s’écrit à des fins de communication. Mais que restera-t-il de ce moment historique ? Nul ne peut le dire malgré une volonté narcissique de vouloir marquer l’Histoire.

Macron fait partie de cette époque, il est ce personnage maniant les artifices (images et langage confondus), et il me semblait pertinent de l’inclure, sur fond de temple grec (je n’en ai pas trouvé de romain!) dans le projet. Ainsi sa gestuelle, ses regards, ses contenus discursifs ne répondaient qu’à cet impératif: le prendre au piège de ses propres mots, lui même tentant de fabriquer un moment, comme Crassus voulait fabriquer « son » Histoire en crucifiant plus de 6000 esclaves le long de cette route rejoignant Rome… Macron apparaît, entouré des bandes noires du cinémascope, il est sur un décor naturel de production Holywoodienne, il est doublé par la voix française de Crassus, le voilà donc selon moi, mis à nu, certains diraient démasqué, grâce au cinéma.

Alors, cette œuvre raconte une histoire, la mienne, en train de regarder l’Histoire se faire. Il s’agit donc d’un film documenté. En posant aussi la question du cinéma (et de son esthétique). La fiction hollywoodienne était justement tout sauf une reconstitution fidèle mais bien un spectacle, un film à grand spectacle. Peut-on sortir de cette forme de récit, celle du spectacle qui fait le spectateur. Et celle du récit de spectateurs devenus un samedi acteurs de leur propre vie.

Avons-nous à ce point besoin d’un récit ? En devenant acteurs de cet évènement, les gilets jaunes deviennent-ils, au même titre que Macron, les acteurs agissant d’une scénographie intentionnelle ? Se pensent-ils dans une dimension narrative comme Macron ?

Et le cinéma, en allant au delà du réel, peut-il générer par sa seule force évocatrice le passage à l’action? Ou réduit-il la contestation, à cause de la puissance narrative qu’il est capable de développer, à un nouveau spectacle impossible à dépasser ?

Plus qu’un parallèle entre deux formes (documentaire et film), c’est davantage un jeu d’aller retour entre réel et fiction qui m’a intéressé. Depuis l’affiche jusqu’au générique. Un film documenté, plutôt que documentaire, comme nouvelle forme d’écriture, tentant de scénariser à son tour le réel dans une fiction.

Est soulevée alors la question de la place des interviews, c’est à dire de la parole politique et du montage, et derrière au fond pour moi la question de l’engagement. Cette question de l’engagement, c’est essayer de restituer simplement, dans l’évolution de leurs paroles, ce qui a traversé des êtres non-politisés pour les transformer, en partie du moins, et de manière irréversible. Seul le montage, sans voix off, peut permettre d’essayer de restituer cela. Le montage montre la gradation dans leur discours politique qui part de revendications diverses au début pour aboutir à cette longue prise de parole en mars de cette femme qui lit un vrai programme de gauche. « Je suis Spartacus », comme « Je suis Charlie », est un moment complètement construit mais qui doit incarner aussi cette construction allégorique. J’ai refusé d’aller filmer ces gens chez eux, de filmer leur douleur et leurs larmes, c’est à dire de céder au pathos et à la réduction du prolétariat en sous-prolétariat cinématographique, c’est à dire un prolétariat sans conscience de classe, si ce n’est celle du réalisateur-manipulateur bien intentionné, ce qu’est par exemple Ruffin dans son documentaire « J’veux du Soleil ».

ANNEXES

Grand Débat à Langeac

Vendredi 1er mars 2019 les gilets jaunes de Langeac étaient à l’initiative d’une réunion dans le cadre du grand débat.

Bande-annonce #1

Bande-annonce #2